« Mayday Mayday ! Ici Indiana-03 ! Est-ce que quelqu’un me reçoit ? Crisse de câlice d’ostie de tabarnak! »
Une autre secousse me coupe le souffle. Engoncé dans mon harnais au fond de mon siège, je bouge quand même comme une balle de ping-pong dans son emballage. Les bandes de cette ceinture de sécurité améliorée sont en train de me cisailler le corps malgré ma combinaison. Tous les capteurs des tableaux de bord s’agitent. Il y en a qui s’allument, alors que je ne les ai jamais vus à l’entraînement ! Ça doit faire partie des pages du manuel que personne ne lit…
« Moteur deux et trois H.S, Chevalier ! Je passe sur les réacteurs de secours, mais il y a une fuite dans le… »
La chef de mission Hélène Chevalier se retourne autant qu’elle peut sur son énorme siège central, et lance un regard noir à Vassili qui est à sa gauche. Moi, de mon poste, je vois bien l’écran du ruscof… Il clignote en rouge, ça va pas bin mon affaire …
« Une fuite où, Aliev ?! beugle la chef à notre pro des mécaniques. »
Vassili Aliev reste muet et contemple son écran. Quand il finit par tourner la tête, je crois que je vois des larmes qui coulent sur son visage. Si on m’avait dit que je le verrai pleurer un jour ! C’est pire que pire… Même Cold, l’officier en second assis à la droite d’Hélène, ne trouve pas la force de le réprimander.
Malgré tout le bouquant des alarmes, des capteurs, et de la carlingue de notre vaisseau qui craque comme un vieux châssis de voiture, en cet instant nous sommes tous silencieux. Une chape de plomb mutique. J’en tremble presque, ce moron de l’Est fout une tension pas possible là ! Je sais pas ce qu’il se passe, mais …
Une nouvelle secousse, plus forte encore que toutes les autres. Cette fois, le bruit du métal qui se déchire manque de me faire lâcher le contenu de ma vessie. Je détache mon harnais, rien à foutre du protocole de sécurité ! Quand les autres me voient, ils me hurlent de reprendre ma place, que c’est dangereux… Oui, et rester dans une navette qui est clairement entrain de s’ouvrir dans l’espace c’est pas dangereux peut-être ? Je me tourne en agrippant un montant en fer, et leur cri :
« Faut qu’on aille mettre les scaphandres, à c’t’heure !
-Nos combinaisons d’usages nous garderons des décompressions, hurle Chevalier pour surpasser les bips incessants, il nous suffit d’enfiler les casques ! Nous n’avons pas besoin d’ajouter les modules de survie dans le vide total, ils réduisent trop nos mouvements.
-Da, il faut aller les enfiler ou on va y rester ! »
Vassili m’imite soudain, et me dépasse même pour aller ouvrir le caisson plexi où sont accrochées ces petits bijoux de technologie. Je fonce attraper les casques d’usage, il nous faut les enfiler avant le reste. Les deux autres sont debout et peine à me rejoindre pour s’équiper, les systèmes de gravité internes ont l’air de faiblir eux aussi.
Les secousses n’arrangent rien, et plus les secondes s’écoulent, plus j’ai l’impression qu’il y a des nouveaux sons qui se déclenchent. Je crois que ça me fait encore plus manger mes lacets de bottine, et pourtant, j’suis entraîné pour ça.
Et c’est là que je le vois. Je rampe presque vers le ruscof qui est entrain de verrouiller son scaphandre quand, je sais pas pourquoi, je tourne la tête vers le pare-brise…
D’abord, c’est confus, la navette Indiana-02 passe juste devant et manque de nous rentrer dedans. Elle est en feu. Enfin, je crois… Sa coque est ouverte et s’en échappe des flammes d’un bleu électrique, ça serait presque beau si c’était pas apocalyptique. Puis, juste derrière, il est là. Il est énorme, plus gros que les trois Stations Spatiales Internationales réunies. Et il a une forme que j’avais jamais vu… Comme si c’est un crisse de dragon géant, tout droit sorti des contes de fée. Tout en fer, sa carlingue est constituée de longue pièce de métal segmenté de couleur bleu. C’est… je crois que c’est pas humain.
C’est pas sérieux !? On vient de rencontrer une race extraterrestre, et il faut que ce soit ça… Une attaque ? Non mais, j’espérais vraiment que le jour où ça arriverait, on pourrait casser tous ces clichés de marde où les aliens sont les méchants.
Mais je crois qu’on en est pas là, Cold vient de me saisir par le col pour m’aider à les rejoindre contre le placard à scaphandre, comme j’aime bien à l’appeler. Tout le monde se grouille d’enfiler ces mastodontes. Il faut dire, ça à beau être des engins ultra perfectionnés, ces fameux modules de survie dans le vide, c’est pas facile à mettre. Même si une fois sur le dos, ça vous donne l’impression d’être Iron Man en blanc, j’aurai bien aimé qu’ils mettent au point un système d’enfilage rapide, comme dans le quatrième remake du premier, mon film préféré.
Ce qui ressemble à la tête du dragon se met à rougir. J’y crois pas, c’est vraiment comme dans les films, y’a une espèce de laser qui se charge façon étoile de la mort… Mais, atta a tipeu, ça nous vise ?! J’ai à peine le temps de balbutier et lever le doigt en direction de l’engin que Chevalier m’empoigne et verrouille le système SAFER de mon scaphandre, avant de se jeter sur l’écoutille de secours et d’activer l’ouverture.
Je vois le tir arriver avec lenteur sur nous, vous savez, comme quand on voit sa vie défiler à toute vitesse devant ses yeux et qu’on voit sa mort au ralenti en même temps.
Pendant que le rayon jaune-orangé fonce vers sa cible, je me revois gamin, entrain de draguer ma première blonde à mes risques et péril sur une terrasse de café à Montréal, faire une partie de Donjon et Dragon avec les potes de la fac, obtenir mon diplôme sans me fouler, recevoir mon acceptation pour le nouveau Centre de recherche et d’exploration spatiale international, serrer la main de mes collègues pour la mission Indiana, envoyer un message vidéo à mes parents pour leur dire que je les rendrais fier avant le départ…
Et là, je suis aspiré. Le souffle de la désincarcération est d’une puissance folle, même quand on a reçu l’entrainement pour, ça fait toujours quelques choses d’être happé dans le vide. Mais là, d’un coup, quel silence. Après le brouhaha que je viens d’entendre dans le vaisseau, digne des pires concerts de black métal où j’ai dû chaperonner ma petite sœur, ça fait un bien fou.
La navette Indiana-03 explose alors que nous ne sommes qu’à quelques mètres à peine, et le souffle nous projette encore plus loin. Je tourne la tête pour essayer de voir mes compagnons. Ils ont réussi à fixer leurs modules ensemble et sont tellement éloignés de moi. Dans l’espace en tout cas, on peut considérer que c’est une sacrée distance. Je vois la chef de mission, reconnaissable aux signets or sur blanc, me faire signe. Ses mouvements sont ralentis par son module, et je peine à comprendre sa gestuelle, même si on nous a formé aussi pour ça. Au cas où, ils disaient… Faudra que je demande la prime de risque en rentrant.
En ajustant la focale du système de vision de mon casque, je détecte quelque chose du côté des astronautes de mon équipe. C’est… une déflagration sombre, j’ai l’impression. Si j’avais été dans mon jeu vidéo préféré, j’aurais dit une faille Warp. Je n’ai pas encore allumé mon système de communication, je vais le faire pour les prévenir et…
Un truc me percute violemment. Les capteurs de ma sur-combinaison s’affolent. Ceux de ma combinaison principale aussi… Des débris passent autour de moi, je perds de vue les autres. Mon système de communication ne démarre pas. Un message s’affiche sur l’interface. L’intégrité de ma tenue spatiale est compromise. La procédure d’urgence va s’enclencher.
Tabarnak, pas la procédure d’urgence, pas au milieu de tout ça !
J’essaye d’activer le système de propulsion, mais le SAFER a décidé de se bloquer lui aussi… Je regarde mes mains et mes pieds, avec amertume, en espérant à tout moment voir les micropropulseurs intégrés se décider à fonctionner avant que l’énorme aileron des aérofreins de la navette ne m’éclate la tronche de plein fouet. Iron Man n’avait qu’à appeler sa fidèle IA pour s’en sortir. Mais la mienne a pas une voix sexy, et a décidé de complètement me lâcher.
Attache ta tuque avec d’la broche mon vieux Logan, impact dans trois, deux, un…